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Le Film Décrypté : Nuit et Brouillard de Alain Resnais
Avec : la voix de Michel Bouquet sur un texte de Jean Cayrol

Face à l’indicible

Le monde célèbre ces jours-ci le soixantième anniversaire de la libération des camps de la mort, l’occasion pour nous de nous pencher à nouveau sur ce court film de Alain Resnais, évocation poignante et essentielle de l’univers concentrationnaire.

Alain Resnais répond en 1955 à une commande du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Il se rend sur les lieux où des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants furent exterminés par les nazis. Il visite en autres Auschwitz, Birkenau et filme des camps laissés à l’abandon où une nature paisible a repris ses droits. Qui pourrait deviner les atrocités commises quelques années auparavant ? La quiétude des paysages laisse progressivement place à un montage d’archives ressuscitant l’univers concentrationnaire dans toute son horreur.

Nuit et Brouillard marque une date dans l’histoire du Cinéma. Pour la première fois, une œuvre de cinéma aborde de front les horreurs nazies. Ce court documentaire provoqua d’ailleurs plusieurs scandales à sa sortie en 1956 à une époque où il fallait préserver l’entente franco-allemande. Alain Resnais dut en outre masquer les preuves trop voyantes de la collaboration française (un uniforme français trop visible dans le film original) même si la force du film fut immédiatement reconnue, notamment par le prix Jean Vigo 1956.

Le film alterne différents montages d’archives avec des images récentes des camps. Michel Bouquet lit un texte de Jean Cayrol, résistant lui même rescapé du camps de Mauthausen. Ses mots mettent en perspective les images. Ils nous accompagnent entre poésie et horreur dans le long processus qui mène à Auschwitz : arrestation arbitraire des juifs et des opposants politiques, transport dans des conditions éprouvantes, déshumanisation progressive des prisonniers soumis au régime des camps.

La mise en scène de Alain Resnais complète admirablement le dispositif dans un long crescendo vers l’horreur, les images se substituant progressivement aux mots pour mieux dire l’indicible, la cruauté des bourreaux et la dignité perdue des victimes. Si le film gomme la spécificité juive, c’est pour accentuer l’horreur d’un crime commis contre l’humanité toute entière, un crime de masse dont les travaux et les films à venir mettront à jour les horribles singularités.

Le titre fait référence à un décret du maréchal Keitel daté de 1941. Il prévoyait la déportation pour tous les opposants ou ennemis du Reich. Les personnes représentant un danger pour la sécurité de l'armée allemande, les "NN" étaient transférées et devaient disparaître dans le secret absolu. En trente minutes, le film ressuscite ces crimes et les victimes anonymes que certains voudraient oublier. Les bourreaux n’ont pas réalisé leur funeste dessein. Du moins aussi longtemps que les mots de Jean Cayrol et le film de Alain Resnais résonneront dans nos têtes pour « nous avertir de la venue de nouveaux bourreaux... nous qui ne pensons pas à regarder autour de nous et qui n’entendons pas qu’on crie sans fin » .
J.H.D. 

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