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Les frères Grimm de Terry Gilliam
Avec : Heath Ledge, Matt Damon, Monica Bellucci, Jonathan Pryce, Peter Stormare

A l'aube du XIXe siècle, les frères Grimm étaient connus dans toutes les campagnes pour être les seuls capables de vaincre les esprits maléfiques et les créatures en tous genres qui épouvantaient les villages. Leur lucrative entreprise cachait cependant un petit secret : Jacob et Will se contentaient de combattre les monstres diaboliques que leurs complices animaient grâce à d'ingénieux trucages et d'impressionnantes mises en scène...

Lorsque les autorités les obligent à se rendre à Marbaden, l'enjeu est tout autre. Le hameau vit dans la terreur absolue depuis que ses petites filles sont enlevées les unes après les autres. Cette fois, les frères Grimm n'ont pas affaire à une illusion. Avec la très belle Angelika, ils vont découvrir que la forêt lugubre renferme un terrible secret, un monde de magie et de sortilèges peuplé des plus incroyables créatures...

Les dernières nouvelles de Terry Gilliam étaient préoccupantes tant ce dernier n’avait rien réalisé de franchement attrayant depuis L’Armée des douze singes. Soit une décennie marquée par une adaptation mollassonne de Las Vegas Parano –roman gonzo et culte du regretté Hunter S. Thompson- et surtout par le traumatique L’Homme qui tua Don Quichotte, un beau fantasme de cinéphile qu’une série d’incidents regrettables réduisit à néant (voir ou revoir Lost in La Mancha pour constater l’ampleur du désastre). Alors l’attente de ces Frères Grimm était partagée entre l’appréhension de voir resurgir le cauchemar Van Helsing devant les premières images et l’envie sincère d’assister à la renaissance du génie visuel de Brazil et Fisher King. Au final, le désir a eu raison de l’angoisse et l’on est en mesure d’affirmer que Gilliam est loin d’avoir perdu la main.

Dès l’annonce du projet, Les Frères Grimm avait été estampillé « commande pour rassurer les investisseurs » mais on se retrouve plutôt face à une hybridation : celle d’un divertissement de haute qualité avec les enseignements tirés par un artiste qui a connu les pires désillusions tout en parvenant à aller de l’avant. Les Frères Grimm est totalement dépourvu de cette amertume –somme toute légitime- du projet non concrétisé et ce, malgré un tournage particulièrement éprouvant de par sa longueur et ses multiples rebondissements (chef opérateur viré, conflits en tous genres avec le producteur Harvey Weinstein). Car l’amour du travail bien fait prédomine, comme si Gilliam avait assimilé que ses envies démesurées et uniques refroidiraient toujours les décideurs, que le compromis s’avérerait indispensable afin de continuer l’exercice de son art.

Le scénario, plutôt inspiré, d’Ehren Kruger reprend de façon détournée cette impossible conciliation entre producteur et réalisateur à travers Will le pragmatique, lanceur de poudre aux yeux animé par l’appât du gain, et Jacob le rêveur qui préfère se réfugier dans la seule réalité valable à ses yeux, celle des légendes germaniques ; la foi de Jacob pour le surnaturel et le merveilleux est d’autant plus exacerbée que la Prusse, sous le joug napoléonien, subit l’influence matérialiste des Lumières. Alors, le film se donne à la fois comme une fête foraine baroque rappelant parfois les plus belles perles de la Hammer, et comme une compilation de Gilliam période Jabberwocky : un espace de jeu où le cinéaste cherche à divertir sans renoncer complètement à la forme ni à l’intelligence, exercice difficile qui peut le conduire à commettre quelques erreurs. De ce fait, Les Frères Grimm souffre du « travers Gilliam », à savoir un déséquilibre évident entre le soin du détail apporté à chacun des plans (certaines compositions sont sidérantes de beauté) et le manque de souplesse du récit provoquant certains décrochages temporaires (la sous-intrigue du personnage de Lena Headey est, à ce titre, maladroite au possible).

Pourtant, Les Frères Grimm évite de tomber dans l’insignifiance parce que Gilliam ne veut pas jouer au plus malin en insufflant un vague modernisme de pacotille dans les fables d’origine. Sa relecture impressionne par la puissance onirique de sa forêt malfaisante ou de son cheval mangeur d’enfant. Mais Terry Gilliam a l’intelligence de ne pas se prendre trop au sérieux et en profite pour contaminer l’histoire de son héritage Monty Python. Du coup, on rit beaucoup de ces séances de tortures aux limaces ou du caractère raffiné et sadique du général Delatombe, véritable méchant du film campé par un savoureux Jonathan Pryce. Le reste du casting n’est pas en reste, preuve s’il en est que Terry Gilliam sait toujours diriger ses comédiens tant Matt Damon et Heath Ledger se montrent généreux et réussissent à créer un mélange de complicité et d’ambiguïté dans leurs rapports, ce qui n’apparaissait pas gagné d’avance dans le scénario.

Alors, on pourra toujours avancer que Les Frères Grimm n’est pas le meilleur film de son auteur, et que la déception est inévitable. Mais, honnêtement, si tous les blockbusters possédaient encore un tel niveau d’inventivité visuelle et une telle modestie, Terry Gilliam n’aurait pas été contraint de venir tourner …Don Quichotte en Espagne avec le ratage que l’on sait et il ne serait pas contraint de vivre avec cette impression persistante que Les Frères Grimm pourrait bien être son dernier film.
J.F. 

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