chroniques littéraires
Les Bienveillantes de Jonathan Littell, Gallimard |
La traversée de l’Histoire Un vieil homme sans histoires. Maximilien Aue a dirigé une prospère usine de dentelle implantée en Alsace. On imagine sans peine les responsabilités, les distinctions, le confort bourgeois, l’épouse fidèle. Mais on échappe rarement à son passé. La reconnaissance n’efface pas les souffrances infligées et c’est bientôt un vacarme sourd qui résonne, bruits de guerres où se mêlent cris des bourreaux et silence des victimes, une autre vie d’honneurs dérisoires gagnés dans le crime et qui ne vous laisse jamais tranquille. National socialiste convaincu, le Dr. Aue rejoint la SS dès l’université et sert dans les services secrets du Reich. Chargé de sécuriser les avancées de la Wehrmacht sur le front de l’Est, il traque sans relâches les opposants et les juifs et assiste ainsi à l’invasion de la Russie, percée stoppée au cours du siège de Stalingrad. Il participe ensuite à la mise en place de la Solution finale, affecté à l’optimisation des services de travaux forcés dans les camps au profit de l’effort de guerre allemand. Un tel personnage n’a évidemment jamais existé mais est ce vraiment un problème ? La parole librement recueillie d’un bourreau est elle vraiment impartiale ? Jonathan Littell ne cherche pas à se poser cette question. Son personnage sert un projet plus ambitieux : donner à voir les mécanismes du IIIème Reich pour tenter de comprendre comment des hommes ordinaires en arrivent à se rendre complices du plus grand crime contre l’humanité. Le projet de renaissance du Volk allemand opprimé, incarné par le Führer séduit inévitablement ces hauts fonctionnaires. Les premières exactions interpellent les esprits, quelques doutes vite sacrifiés sur l’autel de la raison d’état, (de toute manière, les chefs doivent à l’Allemagne le sacrifice de leurs doutes). Le système se met progressivement en place, de moins en moins contestable et petit à petit les valeurs morales s’inversent : assassiner des femmes et leurs enfants devient la solution la plus humaine tandis que Aue, juriste de formation, se surprend à peine à tuer des innocents sans procès. La destruction du peuple Juif s’inscrit dans cette logique totalitaire. Jonathan Littell ne nous épargne aucun détail pour décrire l’organisation des massacres ou Aktion, les conditions de vie épouvantables des camps ou des usines de IG Farben. Il enchaîne les scènes dures certes mais en gardant toujours à l’esprit une certaine éthique. Rarement la logique d’extermination n’a été présentée de manière aussi concrète et frontale. Quand Aue tente d’optimiser la main-d’œuvre des camps, on lui répond calmement que de toute manière, les détenus doivent tous mourir. De toute façon, ces hommes ne regrettent rien, et après tout comme le répète Aue, il n’a fait que son travail, aveu saisissant qui résume bien le livre. On a beaucoup parlé, après la guerre, pour essayer d’expliquer ce qui s’est passé de l’inhumain. Mais l’inhumain, excusez moi, cela n’existe pas. Il n’y a que de l’humain et encore de l’humain. Bien sûr, tout n’est pas parfait dans ce roman fleuve de près de 900 pages : Certains passages restent un peu trop décoratifs, l’évocation de la psyché trouble de Aue donne lieu à des débordements un peu inutiles, le dénouement semble un peu expédié à la va-vite. Mais les qualités littéraires de l’œuvre sont indiscutables tout comme l’immense et minutieux travail de documentation. On ressort hagard mais fasciné de cette épopée sidérante de réalisme et de violence aux confins de l’âme humaine. Prix Goncourt Grand prix du roman de l'Académie française Editions Gallimard, 903 pages (!!), 25 euros J.H.D.
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