chroniques littéraires
Dans le nu de la vie de Jean Hatzfeld, Seuil |
Les marais de la mort Contre l’oubli, contre les mensonges mais aussi pour essayer de comprendre, Jean Hatzfeld a construit depuis quelques années une œuvre d’une rare intelligence autour des évènements qui ont ensanglanté le Rwanda au printemps 1994. Premier recueil de ce travail de longue haleine, Dans le nu de la vie donne la parole à des rescapés tutsis. Ils s’appellent Jeannette, Innocent ou Jean Baptiste et leur vie a basculé un beau matin d’avril 1994. A cette époque, on ne parle pas encore de génocide. Pourtant les caciques hutus ont déjà soigneusement planifié les tueries. Les interlocuteurs de Jean Hatzfeld entendaient sans trop y croire les insultes et les menaces. La suite leur a donné tort. La violence de leurs avoisinants s’est déchaînée sans limites jusqu’au massacre de l’église de Nyamata. La parole des survivants sert avant tout à donner corps à cette tragique entreprise. Chacun évoque une vie coupée nette dans son élan, des proches assassinés dans les marais ou morts d’épuisement. La mémoire se modifie avec le temps mais on se souvient de tous les moments terribles que l’on a vécus personnellement comme le rappelle Jeannette qui relate le décès de sa mère et ses dernières paroles : Jeannette, je pars sans espoir parce que je pense que vous allez me suivre. Et puis vient toujours cette angoissante question. Pourquoi ? Les survivants tutsis ont leur idée mais rien ne peut expliquer la folie des hutus. Les témoignages remettent également en cause certaines idées reçues. Le génocide n’est pas le résultat d’un manque d’instruction. L’instruction ne rend pas l’homme meilleur, elle le rend plus efficace. Le génocide a été pensé par des professeurs et des hommes de savoir, certains ayant même mis la main à la pâte comme le souligne l’un des survivants. Le livre met également en lumière le rôle trouble joué par les occidentaux. Personne n’a levé le petit doigt pour venir en aideaux tutsis et la France a peut être même formé les auxiliaires du génocide. Quand aux belges, anciens colons, ils portent une lourde responsabilité dans le colportage de rumeurs remontant à l’époque où les rois tutsis dominaient le pays. Aujourd’hui, l’espoir s’en est allé. Pourquoi se reconstruire ? Comment repartir de l’avant ? Alors que certains criminels sortent de prison, que certains refusent toujours de voir les choses en face, le livre de Jean Hatzfeld prend tout son sens. Rendre leur dignité à ceux qui tombés plus bas que terre ont voyagé dans le nu de la vie. Un témoignage saisissant qui ne s’oublie pas. Editions du Seuil (Points), 233 pages, 7 euros J.H.D.
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