chroniques littéraires
Mon coeur à l'étroit de Marie N'Diaye, Gallimard |
Un juge infernal Chaque jour, les menaces se font toujours plus précises, arrières pensées énoncées sous forme de rumeurs puis amplifiées par les cris et les insultes. Ange et Nadia ne comprennent pas ce déchaînement de haine. Ce couple de professeurs des écoles exerce pourtant sa fonction avec le plus grand dévouement mais cela ne les protège pas de la vindicte populaire. Aussi quand Ange est gravement blessé, Nadia décide d’organiser leur fuite loin de Bordeaux et pour veiller sur son compagnon s’en remet à leur voisin Noguet, un homme dont ils n’ont jamais supporté les manières condescendantes. Que fuit vraiment Nadia ? Marie N’Diaye dévoile progressivement le parcours chaotique de cette institutrice écartelée entre ses origines africaines et sa nouvelle vie dans les beaux quartiers de Bordeaux. Elle a abandonné les siens pour Ange et son identité construite sur de multiples fractures (les parents, le fils, le mari) semble voler en éclat. Et si Nadia n’était au fond qu’une imposteure ? L’écriture de Marie N’Diaye entretient une certaine filiation avec l’œuvre d’Emmanuel Carrère dans sa manière d’appréhender la folie ou la paranoïa de son héroïne. Nadia se méfie de tous et même de la ville qui à ses yeux s’ingénie à la perdre dans ses rues. En quelques scènes du quotidien, Marie N’Diaye transforme l’existence de son institutrice en un cauchemar sans fin noyé par la brume et peuplé de figures agressives. Son écriture se distingue par sa rigueur psychologique. La romancière sonde les êtres et leurs contradictions. Le roman peut s’interpréter comme une vaste construction mentale de son héroïne. Mais Marie N’Diaye ne s’égare pas et tout le récit tend vers le voyage de Nadia de l’autre côté de la Méditerranée pour un dénouement aussi inattendu que lumineux. Le choix initial de Bordeaux évoque immanquablement Mauriac. Du temps de l’auteur du Nœud de vipères, les bonnes familles bordelaises se déchiraient autour de querelles d’héritage, de mariages malheureux ou de destins sacrifiés sur l’autel des conventions familiales. Aujourd’hui, si l’individu peut s’extraire du carcan familial, il ne peut échapper à ses origines et se mentir à lui-même. Juge infernale, Nadia connaît sa propre vérité et toutes ces compromissions qui menacent de l’entraîner à tout moment vers la folie. Editions Gallimard (Folio), 377 pages, 7.10 euros, Prix Goncourt 2009 J.H.D.
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