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Le Film Décrypté : Sueurs Froides (Vertigo) de Alfred Hitchcock
Avec : James Stewart, Kim Novak, Barbara Bel Geddes, Tom Helmore, Raimond Bailey, Henry Jones,

Biographie d'Alfred Hitchcock (1899-1980)

En dépit de l'image de "Maître du Suspense" dont il est affublé, Alfred Hitchcock a réussi l'incroyable pari de synthétiser les aspirations du grand public, les exigences des studios hollywoodiens et les préoccupation de l'artiste pour livrer une filmographie hors du commun ayant influencé les plus grands, à commencer par François Truffaut.

Né en 1899 en Angleterre, Hitchcock commence sa carrière cinématographique alors que le cinéma est encore muet et demeure profondément marqué par le pouvoir narratif de l'image. Il demeure également extrêmement impressionné par le cinéma expressionniste, ce qui rejaillira sur ses films ultérieurs.
Doté de quelques grands succès comme Une femme disparaît (1938) ou L'homme qui en savait trop à la veille du deuxième conflit mondial, à l'invitation de David O. Selznick il rejoint les studios hollywoodiens avec en 1940 la réalisation de Rebecca. Réalisant une moyenne impressionnante de un film par an, il livre ses plus grands chefs d'oeuvre à partir des années 50 avec Vertigo (1958), La mort aux trousses (North by Northwest)(1959), Psychose (Psycho) (1960) et enfin Les Oiseaux (The Birds)(1963). La réussite de ces films doit être associée à la fructueuse collaboration de Hitchcock avec le compositeur Bernard Herrmann.
Avec un total de 54 films, Hitchcock laisse une filmographie impressionnante dont chaque film fait partie d'une oeuvre plus vaste qui se doit d'être observé dans son ensemble.

Autour du film

Adapté du roman de Pierre Boileau et Thomas Narcejac intitulé D'entre les morts, ce film marque la quatrième et dernière collaboration entre James Stewart et Alfred Hitchcock. Pour le rôle de Madeleine/Judy, Hitchcock avait dans un premier temps pensé à Vera Miles, cette dernière ayant décliné l'offre, c'est finalement à Kim Novak qu'échut le rôle. La collaboration entre Hitchcock et la jeune actrice fut houleuse, Kim Novak contestant notamment les choix vestimentaires de son personnage, s'est attiré les foudres de Hitchcock réputé pour sa direction d'acteur autoritaire.

Lors de sa sortie en 1958, le film fut reçu plus que froidement par le public et les critiques. Son résultat au box-office fut une grande déception pour un film mettant en scène deux des plus grosses stars du box office de l'époque sous la houlette d'Hitchcock. Les spectateurs de l'époque lui préfèrent des films plus légers comme Gigi, Ma tante et La péniche du bonheur. Ce n'est que dans les années 60 que le film fut redécouvert par les cinéphiles dans la mouvance des efforts avant-gardistes de Truffaut et de succès comme Blow-up de Antonioni. Lors de sa première diffusion télévisée aux E-U le film fit un taux d'audience autant inattendu que spectaculaire.

Ce film a profondément marqué certains réalisateurs contemporains. Ainsi Obsession ou Body Double de Brian de Palma reprennent plus ou moins intégralement la trame de Vertigo, de Palma poussant l'hommage au point de travailler avec Bernard Herrmann pour la musique d'Obsession. David Lynch a également repris à sa compte de travail psychologique effectué par Hitchcock tout comme le traitement du dédoublement de personnalité dans des films comme Blue Velvet ou Lost Highway.
En mars 1959, Eric Rohmer affirmait dans 'les Cahiers du Cinéma' : "Tout comme Fenêtre sur cour et L'homme qui en savait trop, Vertigo est une sorte de parabole de la connaissance. Le détective, fasciné dès le début par le passé (figuré par le portrait de Carlotta Valdez à laquelle la fausse Madeleine prétend s'identifier), sera continuellement renvoyé d'une apparence à une autre apparence : amoureux non d'une femme, mais de l'idée d'une femme (...) Et c'est parce que la forme est pure, belle, rigoureuse et étonnamment riche et libre, qu'on peut dire que les films d'Hitchcock, et Vertigo au premier chef, ont pour objet (...) les Idées, au sens, noble, platonicien du terme."

Lors de sa reprise dans les salles américaines en 1984, le film était enfin considéré par tous comme l'une des plus grandes réussites d'Hitchcock.

Le film

John Ferguson alias Scottie (James Stewart) est un policier chevronné qui souffre de vertige. Cette maladie lui ayant coûté la vie de l'un ses hommes, il décide de prendre du recul avec son métier. C'est alors qu'il est contacté par un ancien camarade de classe Gavin Elster qui lui demande d'assurer la surveillance de sa femme, Madeleine (Kim Novak) qu'il dit être malade. Cette dernière revivrait les derniers moments tragiques de l'existence de sa grand-mère Carlotta Valdez.
Scottie, immédiatement sous le charme de Madeleine, s'assigne comme mission de la protéger de ses pulsions autodestructrices.
Après une première tentative de suicide ratée, Madeleine emmène Scottie dans le monastère où Carlotta a été enterrée, et alors que Madeleine se rend au sommet du clocher pour se jeter dans le vide, Scottie ne peut la suivre à cause de son vertige et ne peut empêcher Madeleine de se jeter dans le vide.
Scottie rentre alors dans une profonde dépression, coupé du monde extérieur, rien ne semble pouvoir venir soulager son chagrin. Errant dans les rues de San Francisco, il aperçoit alors une employée de bureau, Judy dans laquelle il reconnaît un double vulgaire de Madeleine.
Vivant avec Judy, des moments qu'il aurait aimé vivre avec Madeleine, Scottie façonne Judy à l'image de Madeleine jusqu'à ce que cette dernière ne soit plus que la copie de la Madeleine, morte sous les yeux de Scottie. Cependant, outre la ressemblance physique, la possession par Judy du pendentif de Carlotta fait comprendre à Scottie qu'il a été victime d'une machination. Gavin Elster avait soudoyé Judy pour qu'elle soit son complice, Elster ayant tué sa femme, Judy/Madeleine n'avait qu'à simuler un suicide pendant qu'Elster jetait le corps de sa véritable épouse dans le vide, sachant pertinemment que l'incapacité de Scottie de surmonter son vertige l'empêcherait de monter au sommet du clocher et de révéler la supercherie.
Pour confondre Judy, Scottie l'emmène de nouveau à la mission espagnole, parvient à grimper en haut du clocher avec elle et lui fait avouer sa complicité. Mais lorsque qu'une nonne surgit, prise de panique, Judy tombe à son tour dans le vide... Comme pour célébrer la renaissance de Scottie, les cloches du monastère n'en finissent pas de sonner.

Eléments d'analyse

Dans Vertigo, peut être plus que dans ses autres films, Hitchcock parvient à réaliser un véritable film d'auteur, intimiste tout en remplissant le cahier des charges hollywoodien.

Si la sensualité et le mystère sont deux composantes du film, Hitchcock prend un risque commercial évident. En choisissant de résoudre le mystère de la mort de Madeleine alors qu'il reste encore 30 minutes de film, Hitchcock va à l'encontre des canons narratifs hollywoodiens. Si ce risque a empêché Vertigo de remporter le succès qu'il méritait auprès des premiers spectateurs du film, Hitchcock démontre clairement sa volonté de se concentrer sur les paramètres psychologiques et de sublimer son statut de maître du suspense qui lui est traditionnellement attribué pour apparaître comme un auteur.

Vertigo reprend certains des thèmes préférés d'Hitchcock. Ainsi il tourne autour du chiffre 3. Trois axes émotionnels, une histoire d'amour passionnelle un meurtre et un drame personnel supposés assurer à Hitchcock l'adhésion d'un large public. Une structure narrative divisée en trois actes: la relation Scottie/Madeleine, la dépression de Scottie, la relation Scottie/Judy. Enfin, un ménage à trois Madeleine/Judy/Scottie. A ce chiffre 3 se superpose le chiffre 2, avec le thème du double. Double Madeleine/Judy dans un premier temps inversé avec Judy pâle copie de Madeleine puis gémellité entre les deux personnages. Scottie est le double inversé de Madeleine, amants maudits qui ne pourront jamais s'unir. Scottie voit également en Elster la personne qu'il aurait toujours voulu être, un "double fantasmatique". Le film lui-même est construit symétriquement avec la scène d'ouverture se terminant par la chute du policier aidant Scottie et la scène finale se terminant par la chute de Judy.

Mais Vertigo est d'abord et surtout film psychanalytique, Hitchcock livre analyse approfondie des mécanismes psychologiques touchant Scottie.
Victime de ses propres démons (le pêché d'orgueil empêche Scottie de prendre conscience de son vertige, ce qui entraîne la mort d'un homme) dès le début du film, Scottie sombre progressivement, dans les deux premières parties du film, dans la folie. Il est aspiré par une spirale descendante (thème récurrent dans le film, dans le pendentif de Carlotta, dans le chignon de Madeleine, dans le délire coloré de la deuxième partie du film) et ne se rend pas compte qu'il est manipulé alors que, par exemple, la tentative de suicide de Madeleine n'est absolument pas crédible, etc.
Dans la troisième partie, le mouvement s'inverse et Scottie remonte le cours des évènements en "recréant" Madeleine à partir de Judy. Puis Scottie force cette dernière à remonter au sommet du clocher, alors que lui-même parvient à vaincre son vertige.
L'équilibre n'est rétabli que par l'intervention d'une religieuse qui cause la plongée de Judy dans le vide. Cette religieuse représentante de Dieu, n'est rien d'autre que la figure de l'auteur intervenant directement dans le récit pour "reprendre le contrôle des évènements". La chute de Judy apparaît comme inéluctable, Scottie, figure du spectateur essayant de se révolter contre la toute puissance du créateur en devenant démiurge à son tour, est remis à sa place et l'auteur rétablit l'ordre des choses en précipitant Judy vers une mort certaine.

Vertigo est un film unique, envoûtant, d'une richesse thématique rare et ayant malgré le temps conservé une modernité stupéfiante. Assurément le signe des grands réalisateurs et des oeuvres impérissables.

G.P.L 

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