chroniques cinéma
Arrête-moi si tu peux de Steven Spielberg |
Avec : Leonardo di Caprio, Tom Hawks, Nathalie Baye, Christopher Walker, Martin Sheen, Amy Adams |
Quand la commande devient le film le plus personnel de Spielberg. Inspirée d’une histoire vraie, Spielberg nous relate l’histoire d’un faussaire précoce dans les années 60, Frank Abagnale Jr (Leonardo di Caprio compose un personnage extrêmement complexe pouvant prendre ou perdre une dizaine d’années d’un plan à l’autre). Supportant avec grande difficulté la séparation de ses parents ainsi que la chute sociale de son père, le jeune homme va, de 16 à 21 ans, endosser consécutivement les identités de pilote de ligne, de chirurgien et d’avocat tout en émettant des faux chèques. Par ce moyen, il détourne plusieurs millions de dollars. Il se retrouve alors poursuivi par l’agent fédéral Carl Hanratty (Tom Hanks jamais aussi bon que dans la peau du benêt de service). Une étrange relation s’installe entre les deux hommes… Arrête-moi si tu peux (Catch me if you can en V.O.) est une comédie dramatique, un genre que Spielberg n’a, à ma connaissance, jamais approché. Pourtant il est curieux de constater à quel point ce film lui ressemble. Il est très facile de deviner ce qu’il lui a plu : la magie, sujet pour lequel il a toujours été attiré. Et il y en a dans cette histoire pour qu’un gamin fasse tourner en bourrique les autorités avec un tel brio. Cependant on trouve aussi un thème qui hante le cinéaste depuis quelques temps : la douloureuse séparation. Comme dans son très oubliable A.I. ou son brillantissime thriller hitchcockien Minority Report, Spielberg met en scène un personnage qui, en refusant l’explosion de la cellule familiale, se réfugie dans ses fantasmes pour mieux les imposer à son environnement. Alors au diable mélancolie et désillusion, il faut du rêve, le rêve de Frank ! Il est centré sur sa famille car en devenant arnaqueur professionnel, il croit prendre la succession de son père (Christopher Walken, excellent comme toujours) mais il s’inspire surtout de sa mère (Nathalie Baye dans un rôle de décalée qui lui va comme un gant). Comme elle, il n’accepte pas la situation et pour faire oublier les déceptions, tout est bon. Elle divorcera de Frank Sr pour se remarier avec un riche homme d’affaires, il deviendra arnaqueur non pas parce que son objectif est le profit maximum, mais pour rester dans une immatérialité toujours plus grisante et plus confortable. En effet, l’abstraction est une des clés de Arrête-moi si tu peux, et elle est présente dans la réalisation. A l’image du superbe générique d’ouverture, la photographie, les décors, la musique, les identités de Frank seraient comme les constituants d’un album d’enfance. Et pourtant Frank n’en est pas le réalisateur. John Anderton dans Minority Report était un décrypteur d’images d’un futur hypothétique, Frank lui essaie de consolider les images d’un passé malheureusement révolu. Dans son ultime et bouleversante fuite, il voit un tableau de famille certes, mais pas celui qu’il aurait souhaité. Une petite fille s’approche de la fenêtre, cadre parfaitement assumé, elle est dedans, il est dehors et brouillé par la buée. On devine alors l’échec d’un apprenti illusionniste par un cinéaste qui aime l’illusion. Ce désenchantement traverse le film et le rend si singulier. Car si le film est baigné dans la magie si chère au réalisateur, le miracle n’y existe pas pour autant. La famille demeurera explosée, Frank sera arrêté par Hanratty et après une ultime tentative de fuite vers l’avant, ce dernier refusera carrément le retour à la situation initiale. On pourra trouver que le film met un peu de temps à se terminer mais à côté de cela, deux certitudes nous font oublier ce léger inconvénient : Leonardo di Caprio est un très grand acteur quand il choisit ses films judicieusement et Spielberg peut être incroyablement talentueux quand il ne confond pas sensibilité et sensiblerie. La combinaison des deux talents donne le film le plus captivant sur les obsessions spielbergiennes. P.S. : la composition de John Williams est admirablement sobre. Quand on voit ce qu’il nous a infligé auparavant, cela mérite d’être salué ! J.F.
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