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A l'Ouest des rails de Wang Bing
Avec : Un documentaire de Wang Bing

La classe ouvrière chinoise n’ira pas au paradis

Un train traverse de vastes étendues enneigées. Il s’arrête parfois dans des hangars désaffectés ou à proximité d’usines fermées. De cette formidable utopie qu’était le communisme chinois, ne reste plus que des vestiges, le spectacle de paysages figés dans la désolation. Ainsi commence A l’Ouest des rails, évocation sur près de neuf heures de la lente agonie de la région industrielle de Shenyang.

L’histoire du complexe industriel de Tie Xi commence en 1932 quand l’armée d’occupation japonaise décide d’implanter des usines d’armement dans cette province reculée du nord-est de la Chine. Dix ans plus tard, la ville de Shenyang devient le symbole de la politique industrielle menée par le régime communiste chinois. A son apogée, le complexe emploie près d’un million de personnes. Mais au début des années 90, la Chine s’ouvre au capitalisme : les usines d’un autre siècle, obsolètes et mal gérées ferment les unes après les autres laissant des milliers d’ouvriers sur le carreau. La caméra de Wang Bing accompagne ce terrible mouvement vers l’abîme. De décembre 1999 à février 2001, le cinéaste a vécu auprès des ouvriers, il recueille leurs témoignages désabusés et filme la mort programmée de la cité industrielle.

Première partie, Rouille offre une plongée saisissante dans le quotidien de ces ouvriers au travail. Wang Bing enregistre chaque geste, filme chaque recoin des usines. Munis d’un outillage parfaitement dérisoire, les ouvriers s’activement en vain. Les équipes ont été réduites, la production de mauvaise qualité s’effondre. Reste les hommes, fantômes d’une époque qui glorifiait leur travail. Wang Bing parvient petit à petit à gagner leur confiance. Le résultat laisse rêveur par la science du cadrage et son réalisme surprenant.

La seconde partie Vestiges suit les ouvriers de retour à leur domicile. Wang Bing maîtrise moins son sujet, certains passages s’éternisent, le film perd en spontanéité. Néanmoins, la morte lente de Shenyang, symbolisée par la destruction progressive de la rue de l’Arc en ciel se lit avec une rare intensité, tout comme le désarroi des ouvriers expulsés vers de nombreux baraquements.

Enfin Rails s’attarde sur la vie de quelques cheminots désœuvrés. Si on ne comprend pas très bien leur rôle sur le terrain, ils assurent une fonction majeure dans le film. Leur locomotive parcourt l’ensemble du complexe, elle dessine la carte de cet univers hors normes. Les spectateurs retrouvent alors les usines familières de Rouille (fonderie, usines de compresseurs…).

Cette partie présente aussi la dimension humaine la plus aboutie à travers le parcours du vieux Du. Expulsé de sa cabane par les autorités, il s’emporte devant la caméra : « un jour je vous raconterai ma vie, je vous dirais tout… ». A l’image du vieil homme, les anciens symboles du communisme disparaissent les uns après les autres et le pouvoir central vante désormais les mérites de l’investissement dans les loteries d’état. Les ouvriers, eux ont tout perdu, travail, logement, santé mais le film de Wang Bing leur rend leur dignité. Derrière la modernité de façade de la Chine d’aujourd’hui, un peuple survit dans la misère. Laissons au vieux Du le mot de la fin : « J’ai travaillé sur cette voie de chemin de fer et j’ai fait beaucoup pour elle, je suis quelqu’un ». Comme les milliers d’anonymes de cette œuvre majeure.

J.H.D. 

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