chroniques cinéma
Le Couperet de Costa-Gavras |
Avec : José Garcia, Karin Viard, Ulrich Tukur, Olivier Gourmet |
Turbo darwinisme social Bruno Davert attend dans sa voiture, à l’abri de la pluie, qu’un homme sorte d’un restaurant. Quelques minutes plus tard, Bruno écrase intentionnellement ce quidam. Trois ans auparavant, Bruno Davert est alors cadre supérieur dans une usine de papier en pleine restructuration. Il accepte son licenciement avec décontraction : la quarantaine, un très haut niveau de qualification, retrouver un poste équivalent ne devrait pas poser de difficultés. C’est au cours de ces trois années, où les entretiens d’embauches ratés vont peu à peu gangrener la stabilité de sa vie, qu’une idée folle va germer dans son esprit : la liquidation logique et méthodique de la concurrence à l’embauche dans son secteur d’activité. Costa-Gavras est un réalisateur réputé pour son engagement politique et sa faculté à achever la plupart de ses films avec le plan qui fait sens. Le Couperet fait partie de cette catégorie avec un ultime plan glaçant : Bruno Davert, parvenu à redevenir cadre sup. dans une grande fabrique de papier (en tuant son prédécesseur), toise du regard une femme en train de l’observer avec des yeux d’une froideur extrême. Aucune parole n’est prononcée. Le seul changement d’attitude de Bruno suffit, celle du prédateur. Un face à face au premier plan, l’objet de convoitises (l’usine Arcadia) en arrière-plan. On devine alors que deux serial killers sociaux vont s’entretuer, que désormais ce sera tuer ou être tué, que les meurtres ne cesseront pas… Bref que l’on va droit dans le mur. Entre temps, Costa-Gavras a signé un de ses meilleurs films depuis Music Box et certainement un de ses plus désespérés. En se frottant à l’excellent roman de Donald Westlake, il réussit une des meilleures transpositions Usa/France depuis Série Noire d’Alain Corneau mais il parvient surtout à démontrer, à travers la cruauté du récit, que l’inhumanité du quotidien nord-américain s’exporte sans mal vers le nord de la France. La mise en scène de ce quotidien par Costa-Gavras ne fait qu’amplifier notre présent –à peine agrandit-elle les pubs aguicheuses ou encore la violence du petit écran – et c’est, au fond, ce qui rend ce film si inquiétant. La télévision tient d’ailleurs une place prépondérante dans le film. On y assiste à la mort en direct au cours du journal de 20 heures et ce, dans l’indifférence la plus totale d’une famille comme les autres. Mais c’est surtout un DVD vantant les mérites d’Arcadia qui engendre l’idée de “zapper” la concurrence à l’emploi. “Liquider”, “éliminer”, “zapper” est le champ lexical récurrent du Couperet, celui du macabre. Il est l’illustration d’une barbarie sociale où l’individu sans travail n’est plus rien et que tout, absolument tout, doit être entrepris pour le récupérer, jusqu’à bazarder sa conscience morale, si nécessaire. Bruno est le fruit de ces temps modernes, un père de famille responsable devenu serial killer aussi pragmatique qu’obsessionnel. En ce sens José Garcia signe une de ses meilleures compositions et démontre une fois encore qu’il n’est jamais aussi bon que dans les rôles de paumé dépressif. Car Bruno, au premier abord, n’est pas quelqu’un de détestable. Cultivé, attentif à l’éducation de ses enfants, rien ne choque dans son profil. Seulement, le bât blesse dès lors que sa femme – la seule personne avec un minimum de bon sens – devient l’actrice principale de la vie économique du foyer. Et c’est ce fossé entre ces deux Bruno qui devient effrayant, entre ses paroles et ses actes notamment. Au cours de ses “éliminations” mal préparées, Bruno commet des erreurs qui l’amènent à discuter avec ses proies, elles-aussi à la recherche d’un emploi, elles-aussi avec des idées noires. Or, il y a toujours chez ses victimes une soupape de sécurité qui les fait revenir à la raison. La plus grande réussite de ce film tient justement de cette impossibilité à définir cette sécurité et à différencier l’assassin de ses victimes. Comme si Bruno, en assassinant la concurrence, se mettait à mort lui-même avec tout ce qui fait de lui un homme. Ce renoncement à son humanité pour son confort individualiste fait froid dans le dos et donne sérieusement à réfléchir sur l’avenir de notre société. J.F.
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