chroniques cinéma
Inside Deep Throat de Fenton Bailey et Randy Barbato |
Avec : Un documentaire de Fenton Bailey, Randy Barbato avec Linda Lovelace, Harry Reems, Gerard Damiano |
Made in USA Produit par HBO, ce documentaire revient sur le phénomène Gorge profonde. Rappel des faits : Gorge profonde, réalisé par Gerard Damiano, était un porno joyeux dont l’argument principal (une femme découvre que son clitoris est situé dans le fond de sa gorge) servait de prétexte pour exploiter les capacités buccales hors du commun de Linda Lovelace. Financé par la mafia new-yorkaise pour vingt-cinq mille dollars, Gorge Profonde en rapporta plus de six-cents millions, devenant du coup le film le plus rentable de tous les temps. Le film sortit en 1972 dans un contexte tellement mouvementé qu’il se situa au delà du simple film de fesses, déclenchant une tempête politique et sociale sans précédent. Une importante partie de la société américaine sautait alors à pieds joints dans la libération sexuelle et la contre culture. Comment ce film est devenu à son corps défendant une petite révolution culturelle (au point de donner son surnom à la taupe du Watergate) ? Voilà à quoi vont brillamment s’atteler Fenton Bailey et Randy Barbato pendant une heure et demie. L’atout principal d’Inside Deep Throat réside dans sa capacité à exposer toutes les répercussions de Gorge Profonde sur la société américaine. Bailey et Barbato construisent des passerelles reliant chaque partie (hommes, femmes, acteurs, distributeurs, politiques, guest stars ayant un lien ou quelque chose à dire sur cette époque) à un grand tout (le phénomène Gorge profonde et ses effets). Ce concept de conséquences à degrés divers produit nécessairement un effet attendu où Histoire nationale et histoires personnelles se répondent dans un rapport attirance/répulsion. Mais la force du film tient dans le fait que cet enchevêtrement entre le privé et le public est tout simplement indispensable pour comprendre réellement l’ampleur du phénomène. Ainsi l’évocation historique impressionne par son implacable efficacité : en partant d’une chronologie linéaire, Bailey et Barbato illustrent leur propos par d’hallucinantes images d’archives: la naïve insouciance de Gerard Damiano, Linda Lovelace et Harry Reems lors du tournage en Floride, les premiers bruits lors de la sortie, le retour de bâton réactionnaire des sympathisants de Nixon, la défense du film par Hollywood et la presse (qui donna naissance au terme porno chic dans le New York Times), l’engouement public dans tout le pays (tout le monde est allé voir ce film, des seniors aux cadres proprets, en passant par Jackie Kennedy !) ; et, pour finir, la prise en main des bénéfices faramineux du film par la mafia (Damiano ne toucha rien) et mise à mort médiatique de Linda Lovelace et Harry Reems par une machine politique redoutable qui les brisa à jamais. Cet aspect “grandeur et décadence” que l’on peut retrouver dans des fictions ayant abordé un sujet similaire (Boogie Nights, Wonderland, Larry Flynt) tiendrait en quelques mots : l’orgie fut superbe, puis tout alla de mal en pis. Inside Deep Throat n’y échappe pas et prend une dimension tragico-mélancolique car ce qui ressort de ce film est un espoir déçu…Celui d’une société décomplexée et débarrassée de sa suffocante pudibonderie (Damiano croyait dur comme fer à une fusion entre le cinéma de studio et le X). A l’image du final de Casino, un modèle de société s’effondre, un autre renaît sur les ruines du précédent, sauf que, dans le cas de Inside Deep Throat, on aurait supprimé le meilleur (l’enthousiasme libertaire des pornos pionniers) et conservé le pire (une industrie du X surpuissante produisant à la chaîne du sous-porno violent et dégradant où la femme n’est plus que l’objet de fantasmes glauques masculins). Au milieu de ce gouffre se trouvent des hommes et des femmes qui, non sans humour parfois, cachent mal leur déception face à une révolution qui n’a jamais porté ses fruits, balayée par l’hypocrisie cynique de ces vingt-cinq dernières années. Le documentaire de l’été. J.F.
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