chroniques cinéma
La Guerre des mondes de Steven Spielberg |
Avec : Tom Cruise, Dakota Fanning, Justin Chatwin, Tim Robbins |
Le 11 Septembre sur trois pieds… Ray Ferrier, docker divorcé, est plus préoccupé par la puissance du moteur automobile à booster sur la table de sa cuisine que par le bien-être de ses deux enfants Robbie et Rachel, respectivement 17 et 11 ans- dont il a la garde épisodiquement. C’est lors d’une de ses gardes qu’un puissant orage éclate. Ray assiste peu après à un cauchemar éveillé : une immense entité juchée sur trois pieds émerge du bitume craquelé pour tout raser sur son passage. Devant cette extermination par des êtres venus d’ailleurs, Ray tente de protéger sa famille dans une fuite éperdue où leur survie peut être menacée par un danger de tous les instants… Après un passage à la comédie dramatique pour le meilleur (le très personnel Arrête-moi si tu peux) et pour le pire (l’épouvantable Terminal), La Guerre des mondes marque à la fois le retour de Spielberg vers ce fantastique qui a tant fait sa gloire et sa deuxième collaboration avec Tom Cruise. Leur première union avait donné l’éblouissant Minority Report, thriller de S.F. anti-sécuritaire où la mise en danger –une incroyable manipulation qu’Hitchcock himself n’aurait pas reniée- servait de point de départ à une avalanche de scènes d’anthologies, toutes reliées par une conduite de récit épousant la fuite au sprint de John Anderton, le policier interprété par la star hollywoodienne. La guerre des mondes ne bouleverse pas cette ossature scénaristique qui a fait ses preuves. Mais Spielberg explicite encore plus ses rouages avec cette intrigue ultra-minimale et ces ficelles mélodramatiques tellement énormes qu’elles ne trompent personne. Pourtant, aussi bizarre que cela puisse paraître, le film n’est pas handicapé par ce cahier des charges parce que David Koepp, en grand manitou du scénario, a parfaitement compris que la surprise proviendrait de la dimension réaliste de cette colonisation perçue à hauteur d’homme, concentrée exclusivement sur une famille américaine moyenne. Ainsi cette adaptation du classique de H.G. Wells n’est qu’une traversée permanente du désastre où l’héroïsme est mis K.O. au premier round, un no man’s land où les gestes de Ray et sa progéniture se résument au champ lexical de la peur: courir, se terrer dans les sous-sols, se protéger les yeux et les oreilles de l’horreur devenue quotidienne. Pour rendre la terreur viscérale, Koepp explique son travail d’élagage : “Nous avons dressé la liste des choses dont nous ne voulions à aucun prix : des destructions de monuments historiques, des scènes de Manhattan ravagé, des brochettes de généraux et d’amiraux dissertant autour d’une grande carte…” Cet extrême dépouillement profite à La Guerre des mondes en provoquant simultanément deux effets : le film joue constamment à cache-cache avec la démesure qu’appelle son sujet et, dans le même temps, cet effet “série B surgonflée”, redoutable par son efficacité, confère au film une sécheresse ahurissante. Efficacité d’autant plus grande qu’elle lamine la concurrence, Emmerich (Independence Day) et Shyamalan (Signes) en tête, rappelant que Spielberg est toujours le champion incontesté du box-office. Ces deux exemples ne sont pas anodins tant les deux réalisateurs n’ont jamais caché leur filiation artistique avec Spielberg –ou leur désir de filiation, tout du moins- et surtout parce que leurs films cités plus hauts traitent peu ou prou du même sujet et ont un lien plus ou moins étroit avec les attentats du World Trade Center : le premier présentait de troublantes destructions de gratte-ciel afin de réveiller l’héroïsme américain (et l’hégémonie) tandis que le second proposait, comme Spielberg, une invasion du point de vue intime pour mieux se réfugier ensuite derrière un discours new age cathartique sur la foi, capable de relever une nation à genoux. Spielberg surclasse le premier dans sa volonté de comprimer, devant sa caméra, l’espace rural ou résidentiel essentiellement, pour l’inscrire dans une démarche réaliste. En privilégiant l’approche figurative, il démontre que la beauté des images, aussi macabres et angoissantes soient-elles, vaut toujours mieux que les discours ampoulés du second. Ce déluge d’images réalistes induit de pures visions de terreurs d’une puissance incommensurable, véritables assimilations d’images d’archives du 11 Septembre, qu’elles soient suggérées (la carcasse de l’avion) ou affichées (la poussière d’apocalypse générée par le rayon tueur des tripodes, similaire à celle de Manhattan lors de l’effondrement des tours). La Guerre des mondes est, sous cet angle, une contemplation de la terreur quand la foule, au lieu de fuir, reste autant pétrifiée par la peur que par la fascination face à ce monstre sortant de terre. Mais Spielberg ne se limite pas seulement à l’histoire immédiate quand ce train en feu zèbre la nuit et illumine une marée humaine désarçonnée, et muselée par l’effroi. Que dire de ces paysages autrefois verdoyants de Nouvelle-Angleterre recouverts de notre sang aspiré par les machines ou encore de ces vêtements flottant dans le ciel ? Le film est hanté par la barbarie des camps de la mort et Spielberg pose intelligemment les bonnes questions sur ce qui fait de nous des hommes. L’élément de réponse se situe, dans la dernière partie avec Tim Robbins, véritable huis-clos débouchant sur l’animalité et la nature destructrice de notre condition. Alors on pourra toujours argumenter sur le bien-fondé de l’épilogue: le chaos invincible des tripodes n’est qu’une concession au happy end (toutefois purgé de l’héroïsme nationalisme présent chez ses confrères: c’est suffisamment rare pour le souligner). Néanmoins, il prouve que si Spielberg refuse de perdre son âme d’enfant, l’absolue noirceur de ce film confirme qu’il a perdu son embarrassante innocence et c’est la meilleure chose qui pouvait lui arriver. J.F.
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