chroniques cinéma
King Kong de Peter Jackson |
Avec : Naomi Watts, Jack Black, Adrien Brody, Thomas Kretschmann, Colin Hanks, Jamie Bell, Andy Serkis |
New York, 1933. Carl Denham vient de dérober à ses producteurs le négatif de son film inachevé. Recherché par la police, il n’a que quelques heures pour trouver son rôle féminin et quitter cette jungle urbaine avec Jack Driscoll, son scénariste, et une équipe réduite. Il sauve d’un flagrant délit de vol à l’étalage Ann Darrow, artiste de music hall balayée par la Dépression, et la convainc de partir avec lui pour Singapour. Mais Denham n’a nullement l’intention d’aller là-bas, il veut être le premier à s’aventurer sur Skull Island afin d’en ramener de sensationnelles images. L’obsession du réalisateur/aventurier va entraîner l’équipage sur le plus dangereux des territoires. En 1933, Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack inventèrent un authentique mythe de cinéma capable de résister aux outrages du temps par la seule force poétique de ses images comme Kong, perché sur l’Empire State Building, balayant de ses poings les biplans de l’armée… La vocation de Peter Jackson serait venue suite à la vision de ce joyau du film d’aventures et le chantier colossal du Seigneur des anneaux n’aurait été qu’un échauffement à un remake qui lui tenait tant à cœur. Cette histoire d’amour qu’il entretient pour le singe féroce, on nous l’a assénée tout au long de l’année écoulée : Jackson exhibant fièrement l’armature métallique du premier film dans son salon, son adoubement par la mythique Fay Wray et la commercialisation en DVD du making of à quelques jours de la sortie mondiale… le cinéaste néo-zélandais veut faire savoir au monde entier qu’il est le plus grand fan de Kong et que lui seul est à même de rendre hommage à la figure simiesque. Tel est le but de cette campagne au rouleau-compresseur. Pourtant comme dit le vieux proverbe : qui embrasse trop mal étreint. Avant toute chose, il faut rendre à César ce qui lui appartient. Et si cette mise à jour n’arrive pas à la cheville du millésime 1933, elle surpasse aisément la ridicule version 1976 de John Guillermin car Peter Jackson a réussi son Kong, superbe gorille au dos argenté dont la finesse du moindre poil numérique en impose autant que l’incroyable expressivité de son regard. Les scènes entre la bête digitale et l’impeccable Naomi Watts restent les meilleurs moments du film dans la mesure où cette dernière crée une réelle complicité avec l’anthropoïde là où Fay Wray passait le plus clair de son temps à hurler. Certes, par certains moments on pense davantage à Mon ami Joe puisque tout caractère érotique a été supprimé (exit l’effeuillage de la Belle par la Bête) et l’annihilation de l’ambiguïté sentimentale se fait au détriment des multiples niveaux de lecture de l’original. Dommage ! Mais Peter Jackson assure plutôt bien la partie action et, bien qu’il s’adonne à la surenchère, il parvient à mettre en boîte de réjouissants morceaux de bravoure avec une certaine ironie comme ce crescendo dans la poisse de Ann Darrow : pourchassée par trois T-Rex et Kong, consciente de sa peu enviable place dans la chaîne alimentaire, elle se voit contrainte de valser entre les pattes du quadrumane pour ne pas finir en tartare pour crétacés affamés ! Seulement, Peter Jackson oublie l’essentiel du cinéma d’aventure stipulant que l’efficacité de l’action passe nécessairement par un rythme trépidant. King Kong cuvée 2005 ne marquera pas un retour à ses débuts inspirés. Après avoir goûté à l’épopée fleuve du Seigneur des Anneaux, le cinéaste signe encore un film de plus de trois heures (quand celui de Cooper et Schoedsack avoisinait les 105 minutes) sans rien ajouter en substance… De fait, Peter Jackson marche souvent sur les traces du matériau d’origine, allant jusqu’à reprendre parfois des dialogues entiers ou le thème de Max Steiner pour y insérer un nombre d’extensions aussi indigestes qu’un étouffe-chrétien. King Kong n’est encore une fois qu’une succession de fulgurances éparses dans une grosse machine où tout est surligné par la balourdise grandiloquente de Jackson et la musique aussi omniprésente qu’insupportable de James Newton Howard. Avant la rencontre de Kong avec son public, il se passe 70 minutes au cours desquelles le cinéaste cherche à développer la foultitude de personnages que comprend l’équipage. L’artificialité du procédé est d’autant plus manifeste que l’interaction entre les personnages secondaires est calamiteuse au point que même ceux qui n’ont pas vu l’original distingueront sans mal l’essentiel de l’insignifiant. Mais ce qui passe pour de la maladresse devient clairement gênant quand il tente de donner des airs de grandeur à son blockbuster en martelant un clin d’œil aussi pompeux qu’erroné à Heart of Darkness de Joseph Conrad (King Kong ressemble surtout à Moby Dick). Dans ces moments là, on perçoit chez Peter Jackson une envie de se hisser au niveau de Steven Spielberg et de James Cameron. Malheureusement pour lui, ses choix formels sont douteux (cela va des ralentis hideux aux affreux primitifs maquillés avec les restes de cirage du Seigneur des anneaux) et son inattention dans la continuité, impardonnable : par exemple, le balcon de la salle de spectacle s’écroule sous le poids de Kong mais la glace ne craque pas quand il joue à Holiday on ice avec Ann sur le lac gelé d’un Central Park féerique, alors que trois heures plus tôt, Peter Jackson ouvrait son film dans le misérable ghetto de Hooverville situé EXACTEMENT au même endroit. Ces deux seuls exemples mettent en avant le manque de maturité artistique de Peter Jackson pour prétendre à être l’égal des deux réalisateurs précités. King Kong gagnerait à être raccourci de trois bon quarts d’heure en se focalisant sur la Belle et la Bête afin que la compassion au moment de la mort de Kong l’emporte sur le sentiment de délivrance qu’éprouve le spectateur face à ce film affreusement long, répétitif et maladroit. CQFD. J.F.
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