chroniques cinéma
Pour un seul de mes yeux de Avi Mograbi |
Avec : un documentaire de Avi Mograbi |
Ouvrir les yeux La carrière de Avi Mogrbi commence au début des années 90 avec quelques documentaires, notamment une enquête sur l’affaire Danny Katz. En 1997, il essaie de tourner un documentaire pour montrer les dangers d’un certain populisme de droite alors incarné par Ariel Sharon mais échoue. L’ancien général d’abord réticent se prête au jeu du documentaire et collabore, n’hésitant pas à se montrer finalement sous un visage sympathique. Ce sera Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon où Avi Mograbi dynamite les règles du genre. Alors qu’il lui aurait été facile de remonter le film à charge contre le vieux leader du Likoud, le cinéaste choisit de se mettre en scène et de montrer les répercussions de son travail sur sa vie de couple, sa femme lui reprochant de succomber au charme de Ariel Sharon. Ce mélange de documentaire et de journal intime ne le quittera plus. Dans Août avant l’explosion et Happy Birthday Mr Mograbi, il se met directement en scène et joue le rôle de son producteur. Surtout il introduit un personnage récurrent, ami palestinien avec lequel il essaie d’entamer un dialogue constructif, souvent par téléphone à défaut de pouvoir se rendre dans les territoires occupés, comme dans Pour un seul de mes yeux. En effet, au plus fort de la seconde Intifada et après une vague d’attentats suicides particulièrement meurtriers, l’armée israélienne boucle les territoires, organise des patrouilles, inspecte les maison une par une, empêchant les paysans de labourer leurs terres. Au téléphone, l’ami palestinien fait part de ses angoisses et de ses insomnies, le sommeil ressemblant à « une répétition de la mort ». Il évoque aussi le désespoir des siens, la vie qui les quitte, la tentation de la mort et des attentats. Plutôt que d’acquiescer bêtement, Avi Mograbi tente de le raisonner et de lui expliquer que seules des négociations pourront faire évoluer la situation. Rompant avec la neutralité imposée par le documentaire, le cinéaste intègre le champ de la caméra et amorce un dialogue indispensable. C’est la grande force du film, notamment quand les militaires essaient sur le terrain d’intimider le cinéaste - coup de boule à l’appui sur la caméra - ou lors de cette scène incroyable où une dizaine de soldats encerclent Avi Mograbi pour l’empêcher de filmer les environs d’une base militaire. Le documentaire ne consiste pas ici à observer mais à se battre pour les images et informer. Cependant, ce film complexe ne saurait se résumer à des images de palestiniens humiliés. On se souvient de Mur, documentaire consensuel où tout les intervenants critiquaient la construction du Mur de sécurité qu’une majorité des israéliens approuvaient in fine. Avi Mograbi ne doit pas aimer la facilitée. En tout cas, il choisit de donner la parole à cette majorité silencieuse à travers l’évocation des mythes de Samson et Massada. Héros de la lutte contre les philistins, Samson capturé et humilié se suicide en entraînant la mort de milliers d’ennemis. Le titre du film évoque ainsi les mots qu’il prononce avant de mourir. Massada, forteresse nichée sur une montagne difficile d’accès abritait une importante communauté de zélotes qui préférèrent le suicide à la soumission aux romains. Ces histoires servent d’exemples à la jeunesse israélienne alors qu’ils s’inscrivent en contradiction avec la tradition juive du respect sacré de la vie. Et de nombreux écoliers ou touristes visitent le site de Massada pour sentir le souffle des rebelles, la clameur de la foule et retrouver le sens du sacrifice. Jusqu'à la nausée. Un guide compare même les zélotes à ces jeunes femmes qui préféraient se suicider avant d’arriver au camp de Auschwitz. On ne remerciera jamais Avi Mograbi de démasquer une telle imposture intellectuelle. L’insoumission pure et simple et donc la mort - choix implicite des palestiniens ne servent à rien. La vraie victoire consiste à survivre pour témoigner de son histoire et de son humanité. Un très grand film pour ouvrir les yeux et peut être enfin amorcer le dialogue. J.H.D.
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