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Une saison de machettes de Jean Hatzfeld, Seuil
 

Jean Hatzfeld, ancien journaliste de Libération, a vécu en 1992 le drame yougoslave et l’a rapporté dans L’air de la guerre - Sur les routes de Croatie et de Bosnie-Herzégovine. Jean Hatzfeld, outre d’être un homme d’une perspicacité et d’une finesse remarquables, a aussi le don de se trouver toujours là où il n’est pas bon de se trouver. En 1994, il est témoin du génocide qui se passe au Rwanda.

Tranchant avec l’indifférence générale qui l’a entouré, il écrit en 2001, après de années de travail et d’entretiens avec les victimes, Dans le nu de la vie- Récits des marais rwandais.

En 2003, Hatzfeld décide de recueillir les paroles des bourreaux hutus. Il va alors les rencontrer dans leurs prisons, où ils restent le même noyau d’amis que lors des tueries. Hatzfeld prend aussi le temps de réfléchir sur ce génocide qui, en cinq semaines, compte un nombre record : entre 800 000 et un million de Tutsis tués.

Pourquoi ? Parce les Tutsis, bergers, les traits fins et la taille élancée, suscitaient depuis toujours la jalousie viscérale des Hutus, agriculteurs luttant quotidiennement avec la pauvreté.

Les témoignages des bourreaux sont frappants de naïveté, de froideur, d’indifférence, de culpabilité, quelquefois tous ces sentiments à la fois. Mais ils restent des tueurs, qui parlent de « travail » au lieu d’assassinat… « Au fond, un homme c'est comme un animal, tu le tranches sur la tête ou sur le cou, il s'abat de soi. Dans les premiers jours, celui qui avait abattu des poulets, et surtout des chèvres, se trouvait avantagé ; ça se comprend. Par la suite, tout le monde s'est accoutumé à cette nouvelle activité et a rattrapé son retard... Le boulot nous tirait les bras... Personne ne peut avouer l'entière vérité. Sauf à se damner aux yeux des autres. Et ça, c'est trop grave. Mais un petit nombre commence à raconter des bouts terribles. C'est grand-chose... Les fauteurs savent plus que des souvenirs et des précisions élémentaires, ils ont des secrets dans l'âme ».

Au delà de ces témoignages effrayants, Jean Hatzfeld s’interroge sur le pourquoi et comment de ce monstrueux massacre, organisé comme n’importe quel génocide : la haine, la propagande, la jalousie, la fièvre contagieuse du sang qu’il faut à tout pris faire couler.

Les rescapés ont-il lu cet essai (Prix Fémina 2003 de l’essai) ? Hatzfeld nous répond : « Les Tutsis n'ont montré aucun intérêt pour les commentaires des tueurs. Ils n'ont pas cherché à savoir. De même, les prisonniers n'ont pas demandé quelle était devenue la vie des Tutsis rescapés. Tous veulent retrouver leur vie d'avant. »

Nous, nous devons chercher à savoir, si l’on ne veut pas rester dans cette indifférence quasi criminelle, qui a laissé des innocents de faire torturer et massacrés. Il faut lire Une saison de machettes. Cela relève du devoir non seulement civique, mais humain. Profondément humain.

Editions du Seuil (Fiction & Cie), 312 pages, 19 euros
S.L. 
 
La mort est mon métier

Au printemps 1994, le Rwanda connut des évènements d’une gravité exceptionnelle. Pendant quelques semaines, les hutus massacrèrent sans relâches leurs compatriotes tutsis. Amis, voisins, partenaires de football, instituteurs, aucun lien social ne put empêcher l’inévitable, l’extermination de plus de 800 000 personnes dans l’indifférence générale. En effet, les institutions internationales ne reconnurent pas immédiatement la gravité de la situation, devant ce qu’il convient d’appeler désormais un génocide.

Jean Hatzfeld, lui n’a pas oublié. En 2000 déjà, il retournait sur les lieux du génocide, autour des collines de Nyamata où perirent près de 50 000 tutsis afin de recueillir les témoignages des survivants (Dans le nu de la vie, aux éditions du Seuil). Il revient cette fois-ci complèter son travail en s’intéressant aux tueurs, simples executeurs ou planificateurs d’un massacre d’une tragique efficacité.

Organisé en courts chapitres, le livre cherche à expliquer le pourquoi du génocide, les causes de cette flambée de violence irrationnelle. Les conversations avec les détenus permettent à Jean Hatzfeld d’approcher l’organisation structurelle (miliciens, propagande, radio d’état…) précédant le passage à l’acte. On ne sait pas trop ce qui horrifie le plus dans ses récits entremêlés, la violence brutale ou la parole décomplexée des tueurs («On ne comptait plus ce qu'on avait tué, mais ce que ça allait rapporter.» ,«Le gourdin est plus cassant, mais la machette est plus naturelle.»)

A plusieurs reprises, Jean Hatzfeld évoque la Shoah, un génocide avec lequel, ces massacres entretiennent de troublantes similitudes. Il ne s’agit pourtant pas de banaliser le mal mais de remonter à ses racines historiques, car pour l’auteur, il s’agit peut être de la manifestation d’un projet collectif inhumain mûri dans l’inconscient de tout un peuple. Plus qu’un témoignage précieux, un véritable travail d’historien nécessaire pour ne pas oublier l’innomable.

Editions du Seuil (Fiction & Cie), 312 pages, 19 euros

J.H.D. 

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