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30 ans et des poussières de Jay McInerney, Seuil
 

Dernier inventaire avant liquidation

Les gratte-ciels ont repris leur course folle vers le ciel de Manhattan, les banquiers d’affaires prospèrent au milieu d’une société gagnée par la fièvre spéculative, les vedettes s’éclatent, le champagne coule à flot. Au milieu des années 80, New York ne connaît ni repos, ni modération, la fête bat son plein. Bercés d’illusions, d’idéalisme et d’ambitions, Russel Calloway et Corrine Makepiece ont rejoint le cœur de Manhattan, bien décidés à faire fortune. Il édite des livres pour le compte de la prestigieuse maison Corben, Dern & Cie, elle conseille les clients d’un grand courtier new-yorkais. Mais bientôt la machine s’emballe, Russel et Corrine ne maîtrisent plus leur destin et leurs certitudes volent en éclat…

Jay McInerney signe ici le grand roman des années 80 dont il a su capter l’esprit, la démesure. Ses personnages évoluent dans un univers d’excès qui rappelle celui de American Psycho mais l’auteur se garde bien d’instrumentaliser la violence latente de l’époque comme Brett Easton Ellis. Au contraire, le roman garde toute sa cohérence parce qu’il se veut la peinture la plus vraisemblable de l’époque. Jay McInerney se permet néanmoins quelques délires quand il évoque les frasques d’un ami de Russell, Washington Lee, ou cette baleine qui vient s’échouer sur le rivage de la propriété de Bernie Melman, l’homme qui a su rendre la cupidité impopulaire, symbole de l’argent roi et du fric facile.

Car ici seule compte la réussite. L’argent obsède les new-yorkais du banquier d’affaire au videur de boîte de nuit. Chacun veut sa part du gâteau, le risque sans revers, un gros beta et des profits garantis ce que l’auteur résume par cette formule qui s’impose d’elle même: on voulait le sexe, on voulait les drogues et le rock’n roll.

Lentement mais sûrement, Corrine et Russell perdent leurs idéaux, elle en conseillant à longueur de journée des produits risqués à des particuliers inconscients des risques qu’ils prennent, lui en lançant une OPA insensée pour obtenir le contrôle de sa propre maison d’édition ! Jay McInerney connaît bien son sujet et le roman offre une description plutôt crédible des coulisses de la Finance, luttes d’influence et autres coups bas. L’auteur utilise un jargon plutôt technique tout en conservant son humour dévastateur, porté par les excès de personnages hauts en couleurs. Nul doute qu’on se souviendra longtemps du fauteuil de voyeur dans lequel Bernie Melman reçoit ses invités.

Tout n’est pas rose. Russel et Corrine en feront l’amère expérience. Les années Reagan ne résolvent pas tous les problèmes, la pauvreté loin d’être résorbée gagne du terrain, de nouvelles maladies font leur apparition. La Bourse ne peut afficher éternellement des performances insolentes. Une autre époque s’annonce, faite de compromis (le mariage pour neutraliser toute attirance mutuelle), de raison (Russel renonce à publier des livres au contenu trop politique), de chômage endémique (le licenciement du père de Russell), et de misère sociale à l’image de ce petit garçon rencontré dans les derniers pages du livre. Signe des temps, les héros de ce roman brillant mais cruel avaient tout l’avenir devant eux, ils enterrent dorénavant leurs rêves d’enfants.

Editions du Seuil (Points), 572 pages, 8.50 euros
J.H.D. 

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