chroniques littéraires
L'Intuitionniste de Colson Whitehead, Gallimard |
Elévation New York ne serait pas New York sans ses gratte-ciel, ses tours vertigineuses édifiées comme un défi aux lois de l’apesanteur. Les hommes rêvent de verticalité mais ce rêve a un prix : la Guilde des inspecteurs d’ascenseur veille à la sécurité des installation de la ville. Mais à l’approche d’élections cruciales pour désigner le patron de la Guilde, les inspecteurs se déchirent et deux camps s’opposent : les empiriques plutôt traditionnels et les intuitionnistes partisans d’une approche révolutionnaire où l’inspecteur contrôle l’ascenseur en écoutant les vibrations de l’appareil. Dans ce monde exclusivement masculin, Lili Mae a su se faire remarquer. Femme, noire, intuitionniste, elle ne se trompe jamais mais se retrouve bien malgré elle au cœur de la campagne le jour où un engin qu’elle venait d’inspecter s’écrase. Accident ou sabotage ? Lili Mae doit prouver son innocence alors qu’en coulisses, la lutte entre empiriques et intuitionnistes s’intensifie… La grande réussite du premier roman de Colson Whitehead tient dans sa capacité à inventer un monde étrange à la fois réaliste et fantastique : comme n’importe quel corps de métier, les inspecteurs d’ascenseur ont leur propre école, leurs codes, leurs élections et leurs luttes intestines. Ils ont également cette fameuse et convoitée boîte noire. Théorisée par Fulton, le père de l’intuitionnisme, cette invention pourrait révolutionner le transport vertical. A l’heure des élections, cette machine devient l’enjeu majeur par lequel chaque camp espère affirmer sa suprématie sur l’autre. Lili Mae observe cela de loin mais sa mise en cause la pousse à mener sa propre enquête, ce qui l’amène à prendre de la hauteur, à réfléchir sur elle-même. En perçant le secret de l’invention de Fulton, elle découvre la complexité du monde, les préjugés des autres mais également les siens. Au plus près de son héroïne et dans un style à la fois drôle et grinçant, Colson Whitehead livre une métaphore de l’Amérique, de ses préjugés racistes encore tenaces, de la corruption toujours valable pour remporter une élection. L’univers restreint des ascenseurs n’échappe pas à l’emprise des dieux marketing et publicité. Les constructeurs offrent du rêve pour faire oublier aux gens qu’ils voyagent dans une boîte accrochée à une corde dans un puits et qu’ils sont dans le vide. Loin des théories de Fulton et de la Guilde des ascenseurs, se joue une guerre plus triviale pour des parts de marché, une autre guerre plus terre à terre loin des rêves de verticalité. Editions Gallimard (Du Monde entier), 352 pages, 20 euros J.H.D.
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