chroniques littéraires
Pipelines de Etgar Keret, Actes Sud |
Nouvelles du front Etger Keret aime raconter des histoires. Des histoires courtes d’où émerge un portrait plutôt réussi de la société israélienne. Sorti en 1992, son premier recueil Pipelines enregistre déjà les lignes de fractures d’un peuple divisé. Homme/femme, enfant/adulte, religieux/profane, militaire/civil, juif/arabe, chaque histoire repose sur une opposition d’où surgit parfois une violence aussi extrême qu’inattendue, notamment quand il est question du service militaire… L’écriture de Etgar Keret ne vise aucun réalisme. Au contraire, son imagination débridée dilate notre perception du réel jusqu’aux confins du fantastique. Certains personnages font ainsi d’étonnantes rencontres, des morts reviennent à la vie. Des figures à la fois tendres ou inquiétantes (anges, démons, lutins, revenants…) hantent ses nouvelles mais l’ensemble garde néanmoins une grande cohérence formelle. Sur quelques pages, certains textes dégagent une incroyable puissance émotionnelle. Comme Kafka, Etgar Keret utilise le surréalisme des situations comme le moyen d’éclaircir notre condition d’être humain, en particulier en Israël, un pays où le poids de l’histoire reste très important voire étouffant. La vie des habitants est rythmée par un long passage à l’armée et les attentats. On pourrait déceler dans ce recueil une urgence propre à l’état hébreu mais également de manière plus universelle la difficulté d’êtres humains à trouver l’amour ou leur place dans le monde. Quelques histoires à ne pas manquer : - Terminal : évocation poignante de la mort d’un vieil homme atteint d’un cancer dans la lignée de Kafka pour sa conclusion fantastique avec l’emploi du mot Zauber, hérité de l’allemand - Pour 19.99 Shekels seulement (TVA et frais de port inclus) : difficile de résumer ces 10 pages de fantaisie où se lit toute les fractures de la société israélienne. A la fois féroce et drôle. - Boomerang : où il est question de pêcher dans le désert. Etger Keret mélange habilement la naïveté d’un enfant avec la perfidie des adultes : le résultat est extrêmement drôle - Le problème d’Hubris : La mise en scène d'une figure mythologique méconnue se termine par une conclusion hilarante - Pipelines : l’histoire d’un gamin qui souffre de graves problèmes de compréhension. Devenu ouvrier dans une usine, il fabrique un tuyau gigantesque dans lequel il disparaît pour se retrouver dans une sorte de paradis loin du regard accusateur des hommes - Une colle forte : la dernière nouvelle à priori banale mais portée par une conclusion poignante où se même amour et fantaisie Editions Actes Sud, 253 pages, 18.6 euros J.H.D.
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