chroniques littéraires
D'autres vies que la mienne de Emmanuel Carrère, P.O.L. |
Hymne à la vie D’autres vies que la mienne présente l’aboutissement d’un vieux projet dont la genèse remonte à l’écriture d’Un roman russe. Trop accaparé par ce terrible livre autobiographique, et toujours hanté par la figure de Jean Claude Romand, Emmanuel Carrère ne semble plus disposer du recul nécessaire pour écrire sur les autres. A cela s’ajoute son point de vue du témoin et la peur de dénaturer de terribles épreuves que l’on n'a pas vécues soi même. Par le plus grand des hasards, Emmanuel Carrère s’est retrouvé spectateur impuissant du tsunami qui a dévasté les plages de l’océan indien fin 2004. Il séjournait avec ses proches dans un hôtel situé au sommet d’une falaise, ce qui lui a vraisemblablement sauvé la vie. D’autres n’ont pas eu cette chance. Après la catastrophe, l’écrivain rencontre une famille meurtrie par la mort d’une petite fille emportée par la vague. Quelques mois plus tard, Emmanuel Carrère se rend au chevet de Juliette, la sœur de sa compagne Hélène, de nouveau frappée par la maladie. Le cancer emportera cette jeune mère de famille. Avant de mourir, elle lui présente un collègue, juge comme elle mais qui fut surtout comme elle atteint d’un cancer au sortir de l’adolescence. Emmanuel Carrère recueille son témoignage qui par ricochet donne à voir l’idéal de justice pour lequel, Juliette et cet homme se sont battus toute leur vie. Le récit poursuit la veine autobiographique d’Un roman russe pour progressivement s’ouvrir aux autres. Ces rencontres neutralisent les névroses de l’auteur en particulier, la figure de Jean Claude Romand dont il se sent proche mais dont les deux juges constituent l’antithèse. Emmanuel Carrère s’empare de ses histoires tragiques dans un style épuré qui évite toute sensiblerie, en particulier quand il évoque l’amour de Juliette et Patrice jusqu’à leur dernier nuit. D’autres vies que la mienne rend justice au combat mené par deux petits juges de province boiteux contre des organismes de crédit sans scrupule. Emmanuel livre le portrait d’une France surendettée où les gens croulent sous les dettes et ne s’en sortent pas. Il s’agit d’un engagement moral au-delà de la sauvegarde du lien social. Rosier où habitait Juliette évoque le pays de Gex de Jean Claude Romand mais se révèle le lieu de des familles unies. Au fil des rencontres, le regard d’Emmanuel Carrère sur sa propre vie change, l’amenant à relativiser ses précédents échecs pour prendre conscience de son bonheur. A sa compagne, il écrit si je devais mourir demain, je pourrais dire comme Juliette que ma vie a été réussie. Cet aveu de la part d’un écrivain dont les précédents romans avaient révélé de profondes blessures est une victoire. Editions P.O.L., 309 pages, 19.5 euros J.H.D.
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