chroniques littéraires
Le colonel désaccordé de Olivier Bleys, Gallimard |
Mourir comme un soldat Les personnages d’Olivier Bleys vivent dans l’illusion de maîtriser leur destin sans prendre conscience des forces invisibles qui en coulisses forgent leur existence. Dans Semper Augustus, les enfants Van Deruick, trop naïfs s’en remettaient au vil Paulus van Bereysten. Sur les marchés aux fleurs d’Amsterdam, les fortunes se faisaient et se défaisaient au gré des fluctuations du prix des bulbes. Dans Le Colonel Désaccordé, Rymar, soldat orgueilleux, attend un ordre de mission qui malgré ses états de services n’arrive jamais. Et dans son aveuglement, l’officier passe complètement à côté de bouleversements majeurs de son temps. 1807. Les armées napoléoniennes envahissent le Portugal et contraignent le roi Dom Pedro Ier à l’exil. Malgré la perte d’une jambe sur les champs de bataille, le capitaine Dom Eduardo Alfonso Rymar veut rejoindre le front pour défendre sa patrie. Mais le roi s’y oppose : l’officier accompagnera la famille royale en exil au Brésil. Rymar rêve de gloire et de nouvelles batailles mais sur place, il se voit confier le rôle de conservateur de musique du palais royal. Rymar ne connaît rien à la musique, un art qu’il déteste mais en bon militaire, il accepte d’obéir aux ordres, persuadé d’être renvoyé sous peu sur les champs de bataille… Olivier Bleys change d’époque mais les bases de son écriture restent inchangées. La lecture de ce Colonel Désaccordé très bien documenté provoque un dépaysement immédiat. Le roman restitue l’exotisme du Brésil, ses couleurs ocre, la chaleur de ses habitants et l’effervescence de la cour en exil à Rio. Tout cela laisse Rymar plutôt indifférent. L’officier s’ennuie et attend la guerre. Malgré ses défauts, en particulier son orgueil sans limites et ses préjugés racistes, l'écriture nous rend ce personnage immédiatement sympathique par son franc parler et ses relations parfois houleuses avec la cour, surtout avec le roi Dom Joao II. Olivier Bleys tire des sauts d’humeur de l’officier de nombreuses scènes comiques où se lie le décalage entre la vieille Europe des monarchies et la colonie en voie d’indépendance. Le rapport de force s’inverse entre la capitale prestigieuses mais ruinée du vieux continent et celle impubère mais florissante du nouveau monde. Le Brésil du XIXème siècle prend son envol, développe les échanges commerciaux avec le reste du monde, met en place sa propre armée et tourne la page sombre de l’esclavage. De tout cela, Rymar reste le spectateur lointain, fulminant contre les gouvernants qui le tiennent éloigné des champs de bataille. Il dirigera l’atelier royal de réparation des pianos avec son fidèle aide de camps . Il reporte sa frustration sur ses fils pour lesquels il rêve d’une brillante carrière miliaire. Mais l’autoritarisme de l’officier cache une profonde tendresse pour ses enfants qui vient compléter le portrait savoureux d’un homme désemparé, ballotté par la vie qui lui joue l’air ironique d’une partition sans chef d’orchestre. Editions Gallimard, 339 pages, 19.5 euros J.H.D.
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