chroniques littéraires
Jan Karski de Yannick Haenel, Gallimard (L'Infini) |
Le Messager Quel est ce petit homme que Claude Lanzmann est allé interroger à New Tork à la fin des années 70 pour les besoins de Shoah ? D’emblée ses yeux exorbités trahissent la peur de celui qui se rend compte que ce qu’il a vu et vécu ne peut disparaître dans les limbes du temps. Les images terribles du ghetto de Varsovie ne s’oublient pas. Les interlocuteurs de Karski sont morts depuis longtemps mais leurs témoignages continuent à dévoiler l’horreur de la barbarie nazie. Ils hantent celui qui est devenu par la force des choses leur messager puis leur mémoire. Rien ne prédisposait ce jeune employé du ministère des Affaires Etrangères de Pologne à devenir une figure capitale de la seconde guerre mondiale. Capturé par les russes en 1939, échangé avec les allemands, le jeune soldat échappe plusieurs fois à la mort avant de rejoindre les rangs de la résistance polonaise. Il y occupe progressivement un poste crucial d’officier de liaison entre les organisations clandestines disséminées sur le sol polonais et le gouvernement en exil à Londres. Au cours de l’hiver 1942-43, lors d’une mission à Varsovie, il rencontre deux émissaires de la communauté juive et prend conscience du génocide. Grâce à leur aide, il pénètre dans le ghetto de Varsovie et visite un camp d’extermination. Les visions d’horreur dépassent ce que le témoignage des émissaires laissait entrevoir. Jan Karski décide d’alerter l’opinion publique et les gouvernements alliés mais personne n’entendra son message à temps… Avec cette étrange biographie, Yannick Haenel rend hommage à cette figure méconnue de la seconde guerre mondiale. L’auteur de Cercle reprend des éléments biographiques de Karski qu’il intègre à un projet littéraire plus vaste. Dans une première partie, l’auteur analyse les conversations entre Lanzmann et Karski tirées de Shoah puis déroule un vertigineux récit de fiction où Karski en personne raconte son histoire en s’interrogeant sur la passivité des alliés face à la Shoah. A travers cette figure maudite du messager que personne ne prend au sérieux se dessine la culpabilité des alliés par omission. Personne ne m’a cru parce que personne ne voulait me croire explique Karski. Au Etats-Unis, il devient une sorte de héros professionnel. Il intervient dans les médias à plusieurs reprises où il est accueilli à bras ouverts mais il ne trouve aucun écho auprès du pouvoir américain. Le sort des juifs et de la Pologne, déjà bradée à Staline, sont déjà scellés. En 1945, les vainqueurs écrivent l’histoire. Le procès de Nüremberg juge les responsables de crimes contre l’humanité. Témoin de l’inertie des alliés, Karski réfute cette idée qui laisserait croire que seule une partie de l’humanité est affectée par la barbarie. Pour le messager, c’est l’idée même de conscience du monde qui meurt à Auschwitz. Jan Karski ne se fait guère d’illusions. Dans l’obscurité, la statue de la Liberté brille comme une figure dérisoire au bord de l’eau. Jan Karski aurait pu se laisser mourir au camp d’Izbeca Lubelska mais il a trouvé la force de survivre pour témoigner et relayer par delà la mort la parole des deux émissaires du ghetto. Au milieu de la nuit, cette lueur d’espoir contre l’oubli et la barbarie brille toujours. Editions Gallimard (L'Infini), 186 pages, 16.50 euros J.H.D.
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