chroniques littéraires
HHhH de Laurent Binet, Grasset |
Les bourreaux meurent aussi Écrasé
par les figures de ses maîtres Hitler et Himmler, tué au beau milieu de la guerre,
Reinhardt Heydrich reste un personnage plutôt méconnu du grand public. Au fait de
sa carrière, il passait pourtant pour l’homme le plus dangereux du troisième Reich,
concentrant les fonctions de chef des services d’espionnage, de la police politique
et de la police criminelle. Le numéro 2 SS est surtout connu pour son rôle de planificateur
de la Solution finale. L’opération Reinhardt d’extermination systématique des Juifs,
des Roms, des Sintis et des Yéniches du Gouvernement général en Pologne porte son
prénom en hommage à son dévouement pour le IIIème Reich. Ne disait-on pas HHhH ? Le cerveau d’Himmler s’appelle Hyedrich traduction de Himmler’s Hirn heiBt Heydrich. Dans HHhH, Laurent Binet raconte l’assassinat de ce personnage cruel, tué par la résistance tchèque. Envoyé à Prague mettre au pas ce qui restait de la Tchécoslovaquie, Heydrich s’était distingué par sa violente répression, la spoliation des juifs et le démantèlement des principaux réseaux de résistance du pays. Au-delà de la symbolique de son assassinat, Laurent Binet met en lumière les enjeux d’une telle opération baptisée Anthropoïde: histoire de la Tchécoslovaquie, crédibilité du gouvernement tchèque en exil, choix d’un soldat tchèque et d’un slovaque pour mener l’opération, mort d’un haut dignitaire nazi. L’auteur rend hommage au courage de ces hommes voués à une mort certaine et confrontés à un cruel dilemme : restaurer l’honneur de tout un peuple malgré la promesse de représailles massives des nazis en cas de succès. Au-delà de l’épisode en lui-même, Laurent Binet ne cesse de s’interroger sur la représentation de l’Histoire. La mort d’Heydrich fut portée au cinéma dès 1943 par Fritz Lang au mépris de toute vraisemblance et à des fins de propagande. Dans HHhH, Laurent Binet pèse chaque mot, essayant de se rapporter aux faits et uniquement aux faits. Il rapporte les anecdotes sur l’enfance de Heydrich, chahuté à l’école sans pour autant en tirer de conclusions sur son itinéraire. Chaque homme garde une part de mystère indéchiffrable et ce n’est pas la rôle de la littérature d’inventer l’Histoire. L’auteur cherche à éviter les pièges du roman historique (par exemple relater le parcours de la femme d’Heydrich, imaginer des dialogues entre officiers nazis, faire parler Hitler…) et maintenir un fragile équilibre entre l’invention littéraire et les faits. Les premières pages sont difficiles. L’autofiction sert de garde fou et dénature l’histoire. Mais Laurent Binet a accumulé au fil des années une documentation colossale sur ce sujet qui le fascine depuis l’adolescence. Le livre regorge d’anecdotes bien réelles auxquelles, le romancier redonne un second souffle avec son écriture précise, vivante, notamment la tragédie de l’équipe du dynamo Kiev liquidée après ses victoires sur les équipes de football du IIIème Reich. De même le déroulement de l’attentat ainsi que la traque de ses auteurs donnent lieu à des pages passionnantes malgré l’issue connue d’avance. Après la retenue des premiers chapitres, l’irruption du spectaculaire ne trahit pas mais consacre le courage de quelques hommes qui se sont élevés contre la barbarie la plus cruelle. Editions Grasset, 440 pages, 20.90 euros J.H.D.
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