chroniques littéraires
Chanson des mal-aimants de Sylvie Germain, Gallimard |
Une ombre errante. Née sous une mauvaise étoile, albinos et abandonnée à naissance, la narratrice du nouveau roman de Sylvie Germain se retrouve ballottée de foyers en familles d’accueil à travers la France de l’après guerre. Elevée par les bonnes sœurs,elle est recueillie par Léontine, la veuve d’un soldat injustement fusillé pour l’exemple, spécialisée dans l’hébergement d’orphelins de guerre. Parvenue à l’âge adulte, elle continuera son errance d’emploi de bonnes en emploi de serveuse avant de finir en chanteuse des rues à Paris puis de revenir dans ses Pyrénées natales… Sylvie Germain livre ici le destin tragi-comique d’une femme parfaitement étrangère au monde. Rejeté à cause de son physique ingrat (« un tas de sobriquets ont par la suite fleuri comme un chiendent sur mon passage, à commencer par Laideron.»), la petite Laudes Marie souffre surtout de l’absence de sa mère, une étrangère dont elle tente vainement de comprendre les motivations, source intarissable d’amertume notamment quand les enfants de Léontine retrouve une famille sitôt la guerre terminée. Solitaire, elle croise sur sa route une multitude de personnages dont elle partage la vie. Elle ne peut vivre la sienne que par procuration ; à travers celle des autres. Il s’agit d’une sorte de fantôme, un spectre comme certains la surnomme perfidement («Je sentais obscurément que je n’avais nulle part ma place, que nulle part, on n’avait ni n’aurait souci de moi… , tellement insignifiante aux yeux des gens qu’il me semblait parfois ne même pas projeter d’ombre.»). Elle assiste donc à la révélation de secrets, des lâchetés, des accès de violences, des morts souvent atroces et l’éclatement de ses différentes familles d’accueil. Sylvie Germain ajoute au tragique de son itinéraire, un certain sens de la dérision dans le regard décalé que cet être hors du commun porte sur ses semblables. Elle incorpore aussi un certain mysticisme accentué par la solitude et les visions de son héroïne. Car si Laudes Marie apparaît autant étrangère au monde, c’est peut être à cause de son sens du dévouement qui tranche avec la cruauté de ses contemporains. Servie par une écriture subtile et ironique, un roman atypique mais remarquable dans sa faculté à saisir la sauvagerie du monde. Editions Gallimard 244 pages, 16 euros J.H.D.
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